Il est urgent de remettre de « vrais » DRH dans les entreprises
Loin de permettre de s’émanciper, les conditions de travail modernes (plateformes, lean management, ubérisation du travail…) engendrent de nouvelles aliénations. Les salariés n’ont plus les moyens de se protéger de la virtualisation des relations de travail et des injonctions paradoxales, écartelés entre des objectifs inatteignables, des méthodes prescrites inapplicables, et le travail dit « réel », c’est-à-dire tous les ajustements qu’ils font pour que cela fonctionne.
Bien avant la crise Covid, les collectifs de travail avaient été écartelés par la pression des volumes à produire, des temps à respecter, des gains de productivité à atteindre. Après Covid, l’éloignement et le télétravail ont terminé de les démanteler.
L’absence de management clair dans les entreprises, y compris les entreprises dites « libérées » a renforcé le flou et l’auto-culpabilisation des salariés, en quête de justification de leur travail, dépossédés de leur métier.
Les « bull-sheet jobs » ont multiplié le recours à des études et rapports qui ne sont lus par personne et alimentent la guerre des chiffres, les contre-vérités et arguments fallacieux, au détriment de l’action pour corriger les dérives.
La responsabilité individuelle a remplacé l’article L4221-1 du code du travail, selon lequel l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Si les salariés se plaignent ou se mettent en arrêt de travail, l’alternative est vite trouvée : on les remplace par des robots (industrie 5.0, digitalisation des fonctions support).
Cette réalité du travail n’est qu’une résurgence moderne du travail taylorien parcellisé, sous l’influence de la financiarisation de l’économie et de la digitalisation des transactions.
La déshumanisation a commencé il y a très longtemps, et se poursuit à vitesse grand V grâce aux nouvelles technologies. L’IA n’est-elle pas censée décider plus vite, automatiser les tâches, remplacer les hommes dans les activités complexes et les environnements extrêmes ?
Les sociétés du marketing digital, fleuron de l’économie post-industrielle, « entassent » des gens sur des plateaux téléphoniques, rachètent nos données, créent des avatars pour récupérer la connaissance des experts, des tunnels de vente ou des « aimants » à prospects, alors même que les relations humaines internes sont appauvries et réduites à la salle de pause ou au babyfoot. Du pain et des jeux me direz-vous !
Il est temps de remettre de l’humain dans tous les secteurs de l’économie, des espaces de dialogue en entreprise, et des DRH pour fixer le cadre du terrain de jeu, les limites à ne pas franchir, et une régulation des relations de travail.
Non pas des DRH juristes, champions des règles et du droit social, non pas des DRH Business Partners, caution de directions peu scrupuleuses, mais des DRH porteurs d’une vision, binôme du Dirigeant de l’entreprise, et influents auprès de leurs collègues dans les comités de direction, et de leurs actionnaires.
Depuis leur mise sous tutelle des fonctions administratives et financières, je constate que les DRH ne sont que rarement consultés ou impliqués en amont dans les projets ou les changements, alors même qu’ils sont les porteurs des valeurs et de la culture d’entreprise.
Privilégier l’action collective pour trouver des solutions concrètes aux problèmes posés, donner aux personnes le pouvoir d’influencer les décisions prises et la manière dont elles font leur travail, partager la valeur produite, voilà un projet de société dont nos entreprises et notre pays tout entier doit s’emparer, pour réduire les fractures, les cloisonnements, les fausses représentations amplifiés par les algorithmes et les réseaux sociaux.
C’est à ce prix que les salariés retrouveront de l’engagement au travail, et la joie de contribuer à une société plus utile, plus juste, et plus équitable.
Alors, vite, à nos DRH, prêts, partons !